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1675

Pierre de Villiers, Entretien sur les tragédies de ce temps

Paris : E. Michallet, 1675

Plaire et émouvoir sans passion amoureuse

Dans cette dissertation sous forme de dialogue, le personnage de Cléarque affirme que Racine a choqué le public en mettant en scène une fille qui préfère les « caresses de son père » à celles de son amant dans sa tragédie. C'est l'occasion pour Timante de souligner que la passion amoureuse n'est pas l'unique ressort des émotions théâtrales.

TIMANTE.
Vous en avez déjà assez vu pour juger ce qu’on peut faire. Si l’auteur d’Iphigénie vous avait consulté avant que de travailler à sa pièce, et s’il vous avait dit qu’il voulait faire paraître sur le théâtre une princesse dont toute la tendresse serait pour un père et non pas pour un amant, car voilà, ce me semble, le caractère de son Iphigénie, ne lui auriez-vous pas répondu que cela aurait été contre la coutume ? ne lui auriez-vous pas dit que cette idée générale d’immolation de victimes humaines, qui règne en toute la pièce, n’aurait guère été conforme à nos mœurs, et enfin ne lui auriez-vous pas fait les mêmes difficultés que vous me faites ? Cependant son Iphigénie a réussi.

CLEARQUE.
Les empressements que témoigne Iphigénie pour être caressée de son père, ne font pas les plus beaux endroits de la pièce ; et j’ai vu bien des gens qui n’approuvaient pas qu’une fille de l’âge d’Iphigénie courût après les caresses de son père.

TIMANTE.
C’est pourtant ce qui fait toute la tendresse et tous les embarras d’Agamemnon, c’est ce qui donne occasion à ces beaux vers qui obligent de se récrier, et à ces tendres sentiments qui tirent les larmes des yeux de tout le monde. Je ne crois pas que l’empressement d’une amante ait jamais rien produit de si beau. Je dis bien plus, excepté quelques pièces qui sont toutes d’amour, les plus belles tragédies que nous ayons vues depuis trente ans se sont soutenues par d’autres beautés que celles que vous trouvez dans cette passion. Et si vous vouliez prendre la peine d’examiner chaque pièce, vous trouveriez que les endroits qui y plaisent le plus, sont presque tous, ou de politique ou de vengeance, ou de quelque puissant intérêt.

Racine, Œuvres complètes, I, Paris,Gallimard, "Bibliothèque de la Pléiade", 1999, p. 783-784 

Dissertation en ligne sur Gallica, p. 68-73


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