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1665
[Anonyme], Lettre sur les observations d'une comédie du Sieur de Molière intitulée Le Festin de Pierre
Paris, G.Quinet, 1665.
Spectateurs de qualité, spectateurs d'autorité
Dans cette lettre qui prend la défense du Festin de Pierre, l'auteur reprend et invalide les arguments des Observations du Sieur de Rochemont. Dans cet extrait, il exploite la réception particulière de deux spectateurs de qualité pour justifier la comédie:
Cet observateur, qui ne manque point d'adresse et qui a cru que ce lui devait être un moyen infaillible pour terrasser son ennemi, après s'être servi du prétexte de la religion, continue comme il a commencé, et par un détour aussi délicat que le premier, fait parler la reine mère : mais l'on fait souvent parler les grands sans qu'ils y aient pensé. La dévotion de cette grande et vertueuse princesse est trop solide pour s'attacher à des bagatelles qui ne sont de conséquence que pour les tartufles. Il y a plus longtemps qu'elle connaît Le Festin de Pierre que ceux qui en parlent. Elle sait que l'histoire dont le sujet est tiré est arrivée en Espagne et que l'on l'y regarde comme une chose qui peut être utile à la religion et faire convertir les libertins. «Où en serions-nous, continue l'auteur de ces remarques, si Molière voulait faire des versions de tous les livres italiens et s'il introduisait dans Paris toutes les pernicieuses coutumes des pays étrangers ?» Il semble, à l'entendre, que les méchants livres soient permis en Italie, et pour venir à bout de ce qu'il souhaite, il blâme le reste de la terre, afin d'élever la France. Je n'en dirai pas davantage sur ce sujet, croyant y avoir assez répondu quand j'ai fait voir que Le Festin de Pierre avait été permis partout où on l'avait joué et qu'on l'avait joué partout.
Ce critique, après avoir fait le procès à l'Italie et à tous les pays étrangers, veut aussi faire celui de Monsieur le Légat, et comme il n'ignore pas qu'il a ouï lire le Tartuffe et qu'il ne l'a point regardé d'un œil de faux dévot, il se venge et l'attaque en faisant semblant de ne parler qu'à Molière. Il dit, par une adresse aussi malicieuse qu'elle est injurieuse et à la qualité et au caractère de Monsieur le Légat, qu'«il semble qu'il ne soit venu en France que pour approuver les pièces de Molière». L'on ne peut en vérité rien dire de plus adroit, cette pensée est bien tournée et bien délicate, mais l'on n'en saurait remarquer tout l'esprit, que l'on ne reconnaisse en même temps la malice de l'auteur. Son adresse n'est pas moindre à faire le dénombrement de tous les vices du libertin, mais je ne crois pas avoir beaucoup de choses à y répondre, quand j'aurai dit, après le plus grand monarque du monde, qu'«il n'est pas récompensé». Entre les crimes qu'il impute à Don Juan, il l'accuse d'inconstance. Je ne sais pas comment on peut lire cet endroit sans s'empêcher de rire, mais je sais bien que l'on n'a jamais repris les inconstants avec tant d'aigreur et qu'une maîtresse abandonnée ne s'emporterait pas davantage que cet observateur, qui prend avec tant de feu le parti des belles. S'il voulait blâmer les inconstants, il fallait qu'il fît la satire de tout ce qu'il y a jamais eu de comédies, mais comme cet ouvrage eût été trop long, je crois qu'il a voulu faire payer Don Juan pour tous les autres.
Lettre en ligne sur Molière 21
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