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1665
[Anonyme], Observations sur une comédie de Molière intitulée Le Festin de Pierre
Paris, Perpingué, 1665
L'œil polémique d'un spectateur
Dans ce texte polémique qui commente la création du Festin de Pierre , on lit ce témoignage de spectateur. La volonté de décrédibiliser la pièce de Molière, manifeste dans cet extrait, n'empêche pas de lire aussi ce texte comme une restitution partielle de la représentation, avec la caractérisation des différentes scènes, la mention de certains vers et des jeux de scène :
Je n’ai pu m’empêcher de voir cette pièce aussi bien que les autres, et je m’y suis laissé entraîner par la foule, d’autant plus librement, que Molière se plaint qu’on le condamne sans le connaître, et que l’on censure ses pièces sans les avoir vues. Mais je trouve que sa plainte est aussi injuste que sa comédie est pernicieuse ; que sa farce, après l’avoir bien considérée, est vraiment diabolique, et vraiment diabolique est son cerveau, et que rien n’a jamais paru de plus impie, même dans le paganisme. Auguste fit mourir un bouffon qui avait fait raillerie de Jupiter, et défendit aux femmes d’assister à des comédies plus modestes que celles de Molière. Théodose condamna aux bêtes des farceurs qui tournaient en dérision nos cérémonies ; et néanmoins cela n’approche point de l’emportement de Molière, et il serait difficile d’ajouter quelque chose à tant de crimes dont sa pièce est remplie. C’est là que l’on peut dire que l’impiété et le libertinage se présentent à tous moments à l’imagination : une religieuse débauchée, et dont l’on publie la prostitution; un pauvre à qui l’on donne l’aumône, [en marge droite : en la première représentation.] à condition de renier Dieu; un libertin qui séduit autant de filles qu’il en rencontre; un enfant qui se moque de son père, et qui souhaite sa mort; un impie qui raille le Ciel, et qui se rit de ses foudres; un athée qui réduit toute la foi à deux et deux sont quatre, et quatre et quatre son huit; un extravagant qui raisonne grotesquement de Dieu, et qui par une chute affectée casse le nez à ses arguments; un valet infâme fait au badinage de son maître, dont toute la créance aboutit au Moine-Bourru : car pourvu que l’on croie le Moine-Bourru, tout va bien, le reste n’est que bagatelle; un Démon qui se mêle dans toutes les scènes, et qui répand sur le théâtre les plus noires fumées de l’Enfer; et enfin un Molière pire que tout cela, habillé en Sganarelle, qui se moque de Dieu et du Diable, qui joue le Ciel et l’Enfer, qui souffle le chaud et le froid, qui confond la vertu et le vice, qui croit et ne croit pas, qui pleure et qui rit, qui reprend et qui approuve, qui est censeur et athée, qui est hypocrite et libertin, qui est homme et démon tout ensemble : un [en marge droite : Dans sa Requête.] Diable incarné, comme lui-même se définit. Et cet homme de bien appelle cela corriger les mœurs des hommes en les divertissant, donner des exemples de vertu à la jeunesse, réprimer galamment les vices de son siècle, traiter sérieusement les choses saintes, et couvre cette belle morale d’un feu de charte, et d’un foudre imaginaire, et aussi ridicule que celui de Jupiter, dont Tertullien raille si agréablement, et qui bien loin de donner de la crainte aux hommes, ne pouvait pas chasser une mouche ni faire peur à une souris : en effet, ce prétendu foudre apprête un nouveau sujet de risée aux spectateurs, et n’est qu’une occasion à Molière pour braver en dernier ressort la justice du Ciel, avec une âme de valet intéressée, en criant mes gages, mes gages. Car voilà le dénouement de la farce : ce sont les beaux et généreux mouvements qui mettent fin à cette galante pièce, et je ne vois pas en tout cela, où est l’esprit, puisqu’il avoue lui-même qu’il n’est rien plus facile que de se guinder sur des grands sentiments, de dire des injures aux Dieux, et de cracher contre le Ciel.
Texte en ligne sur Molière 21
Texte de l'édition originale en ligne p. 25-31
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