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1657

Michel de Marolles, Mémoires

Paris, Loyson, 1657

Le ballet des doubles femmes

Marolles se souvient d'un ballet de 1626 proposé par M. de Nemours, Le Ballet des doubles femmes. La description est l'occasion de quelques considérations sur la comédie et les conditions de l'exécution de ces deux formes.

Le petit ballet des doubles femmes que M. de Nemours fit danser un peu auparavant surprit tout le monde agréablement et réussit mieux qu’aucun que je vis jamais, bien qu’il le fît à fort peu de frais et qu’il ne fût que de cinq ou six entrées au plus, dont les violons firent la première, habillés de sorte qu’ils paraissaient toucher leur instruments par-derrière ; mais c'est qu’en effet, ils avançaient à reculons et avaient des masques au-derrière de la tête représentant des vieilles de belle humeur qui l’inspirèrent de telle sorte à toute la compagnie qu’elle s’en réjouit admirablement. La suite qui n’en fut pas moins divertissante s’acheva par l’entrée des doubles femmes qui parurent d’abord comme de jeunes demoiselles qui saluèrent la compagnie en se démasquant, c’est-à-dire, ôtant un masque de velours de dessus un autre de ballet, représentant un visage de demoiselle avec un habit ridiculement modeste, puis se retournant tout d’un coup, ayant un masque de vieille derrière la tête, encore plus ridicule que celui des violons avec un chaperon et le reste de l’habit de femmes dégingandées, elles s’agitaient d’une étrange sorte, comme si la jalousie ou quelqu’autre passion les eût possédées et derechef, en faisant paraître le visage doux et modeste, elles reprenaient une action beaucoup plus retenue, ce que tantôt elles faisaient toutes ensemble et tantôt séparément. Enfin, s’étant toutes prises par la main pour danser en rond, on n’eût su dire qui était devant ou le derrière, tant cette invention jolie séduisait agréablement l’imagination.

Il en est de même des comédies qui exigent le moins de dépense et dont la beauté principale consiste aux choses qui se disent et à l’action des personnages, le reste n’étant qu’un accessoire qui ennuie bientôt, quoi qu’il faille que le théâtre soit propre mais avec une magnificence médiocre sans y employer toutes ces grandes machines ou ces longues perspectives qui nuisent souvent bien davantage aux acteurs qu’elles ne leur donnent de grâce, comme l’expérience nous l’a fait voir.

Ouvrage disponible sur Gallica.


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