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ca. 1630
Vincent Voiture, Lettre au cardinal de La Valette
Emotion lors de divertissements galants
Dans une lettre datant de 1630 ou 1631, Voiture fait le récit d'une fête offerte par Mme de Vigean aux familiers de l'Hôtel de Rambouillet. Lors de la promenade, les spectateurs sont saisis par la beauté d'un spectacle :
Au bout d'une allée grande à perte de vue, nous trouvâmes une fontaine qui jetait toute seule plus d'eau que toutes celles de Tivoli. À l'entour étaient rangés vingt-quatre violons, qui avaient de la peine à surmonter le bruit qu'elle faisait en tombant. Quand nous nous en fûmes approchés, nous découvrîmes dans une niche qui était dans une palissade une Diane à l'âge de onze ou douze ans, et plus belle que les forêts de Grèce et de Thessalie ne l'avaient jamais vue. Elle portait son arc et ses flèches dans ses yeux, et avait tous les rayons de son frère à l'entour d'elle. Dans une autre niche auprès était une de ses nymphes, assez belle et assez gentille pour être une de sa suite. Ceux qui ne croient pas les fables, crurent que c'était Mlle [de Bourbon] et la pucelle Priande. Et, à la vérité, elles leur ressemblaient extrêmement. Tout le monde était sans proférer une parole, en admiration de tant d'objets qui étonnaient en même temps les yeux et les oreilles, quand tout à coup la déesse sauta de sa niche et, avec une grâce qui ne se peut représenter, commença un bal qui dura quelque temps à l'entour de la fontaine. Cela est étrange, monseigneur, qu'au milieu de tant de plaisirs, qui doivent remplir si entièrement et attacher l'esprit de ceux qui en jouissaient, on ne laissa pas de se souvenir de vous, et que tout le monde dit que quelque chose manquait à tant de contentements, puisque vous et Mme de Rambouillet n'y étiez pas. Alors je pris une harpe, et chantai :
Pues quiso mi suerte dura
Que faltando mi Senor
`tambien fallasse mi dama
Et continuai le reste si mélodieusement et si tristement qu'il n'y eut personne en la compagnie à qui les larmes n'en vinssent aux yeux et qui ne pleurât abondamment. Et cela eût duré trop longtemps si les violons n'eussent vitement sonné une sarabande si gaie que tout le monde se leva aussi joyeux que si de rien n'eût été. Et, ainsi sautant, dansant, voltigeant, pirouettant, cabriolant, nous arrivâmes au logis où nous trouvâmes une table qui semblait avoir été servie par les fées.
Lettres, éd. Sophie Rollin, Paris, Champion, 2013, p. 111-112.
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