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1627
Vincent Voiture, Lettre au marquis de Rambouillet
Une beauté sublimée par le ballet
Dans cette lettre datée du 8 mars 1627, Voiture détaille à son destinataire l'effet que produit Mlle de Rambouillet sur ceux qui la regardent alors qu'elle interprète différents rôles de tragédies ou de ballets :
Vous saurez donc, monseigneur, que le dimanche vingt-unième du mois passé, environ sur les douze heures de la nuit, le roi et la reine, sa mère, étant assemblés avec toute la Cour, on vit en l'un des bouts de la grande salle du Louvre, où rien n'avait paru auparavant, éclater tout à coup une grande clarté et paraître en même temps, entre une infinité de lumières, une troupe de dames, toutes couvertes d'or et de pierreries, et qui semblaient ne faire que descendre du ciel. Mais particulièrement l'une d'elles était aussi aisée à remarquer entre les autres que si elle eût été toute seule, et je crois certainement que les yeux des hommes n'ont jamais rien vu de si beau. C'était celle-là même, monseigneur, qui, en une autre rencontre, avait été tant admirée sous le nom et les habits de Pyrame, et qui, une autre fois, s'apparut dans les roches de Rambouillet avec l'arc et le visage de Diane. Mais ne pensez pas vous imaginer plus de la moitié de sa beauté si vous ne vous figurez que celle que vous lui avez vue, et sachez que, cette nuit-là, les fées avaient répandu sur elle ces beautés et ces grâces secrètes qui mettent de la différence entre les femmes et les déesses. Mais, lorsqu'elle eut pris le masque en même temps que les autres le prirent pour commencer le ballet qu'elles voulaient représenter, et qu'ainsi elle eût perdu l'avantage que son visage lui donnait sur elles, sa taille et sa bonne grâce la rendirent aussi recommandable qu'auparavant et, en quelque lieu qu'elle tournât ses pas, elle tirait avec elle les yeux et les cœurs de toute l'assemblée. De sorte qu'abjurant l'erreur où j'étais de croire qu'elle ne dansât pas parfaitement bien, j'avoue à cette heure qu'il n'y a qu'elle qui sache bien danser. Et ce même jugement a été donné si généralement de tout le monde que ceux qui ne voudraient pas encore entendre tous les jours ses louanges seraient contraints de se bannir de la Cour.
ms de Conrart, 4119, t. XIV, p. 633-636.
Lettres, éd. Sophie Rollin, Paris, Champion, 2013, p. 100-101.
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