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1666

Charles de Saint-Évremond, Lettre à Mme Bourneau

Méfiance à l'égard d'Alexandre le Grand

Depuis son exil en Angleterre, Saint-Évremond correspond avec Mme Bourneau et discute à distance les actualités théâtrales. Malgré les premiers échos favorables de la création d'Alexandre le Grand de Racine, il se montre sceptique, et même après la lecture de la pièce, son jugement est toujours défavorable :

Je serai bien aise de voir des sentiments forts aussi bien poussés que ceux de Corneille, d’une manière différente. Comme les siens sont fort justes, il est à craindre que ceux qui s’en éloignent n’aient quelque chose de faux.


Pour moi, je cherche dans [votre] Alexandre des mouvements extraordinaires, qui le transportent et me passionnent ; je ne trouve que des paroles vaines, qui ne marquent aucune émotion en lui, et me laissent dans tout le sang-froid où je puis être. […] Porus cependant, que Quinte-Curce dépeint tout étrange aux Grecs et aux Perses, est ici purement français. Au lieu de nous transporter aux Indes, il l’amène en France. […] J’eusse voulu que tout le fort de la pièce eût été à nous donner l’image différente de ces deux héros, et que dans une scène admirable, ils nous eussent fait voir, de diverse façon, jusqu’où peut aller la grandeur de l’âme. Si la conversation de Sertorius et de Pompée a tellement rempli nos esprits, que ne devions-nous pas espérer de celle de Porus et d’Alexandre ?

Extraits signalés par M. Escola.

Racine, Théâtre, poésie, éd.G. Forestier, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1999, p.181-182


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