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ca. 1670
Jean Chapelain, Lettres
Paris, Imprimerie nationale, 1888.
Élaboration et réception d'Il Cromuele
Un nombre important de lettres de Chapelain concerne la composition du Cromuele de Graziani ainsi que sa réception auprès du public. Le 18 février 1666, il se réjouit que la pièce soit commencée ; en 1669 il fait des remarques sur l’ouvrage et dès 1671, il le promeut auprès de Colbert avant d’enregistrer l’excellent succès de la pièce en novembre 1671 :
[18 février 1666]
Cette tragédie que vous avez commencée m’a réjoui par son seul projet. Il ne le faut pas laisser imparfait et vous devez à votre honneur de ne vous montrer pas moins sublime dans la dramatique que dans l’épique à l’imitation du Tasse et du Trissino, surtout l’Italie n’ayant soutenu sa réputation dans la haute poésie que par vous depuis quelques années. […]
[26 avril 1666]
Ce que vous me dites de la tragédie commencée, laissée et reprise depuis mes exhortations à les cultiver me tient l’esprit dans une expectation fort grande, n’attendant rien de vous que de grand et ne doutant point que vous n’ayez bien choisi votre sujet, ni que vous lui ayez donné la forme dramatique, suivant les préceptes de l’art soit pour l’invention, soit pour la disposition, avec ses parties de qualité et de quantité, épisode, noeud et dénouement. Le Bracciolin, dans l’entre-deux de ses poèmes épiques, a donné deux pièces de théâtre qui ne sont pas méprisables, quoi qu’elles n’approchent pas en mérite de son Amoroso sdegno. Mais à propos des tragédies, qu’est devenue celle que le malheureux Testi faisait dans sa prison pour en adoucir l’amertume ?
Vous entendez, Monsieur, que c’est [ce qu’il lui envoie] l’argument et le premier acte de votre tragédie. Vous n’entendiez pas moins sans que je m’en expliquasse davantage, que l’un et l’autre m’ont pleinement satisfait et que si jamais pièce de ce genre a dû plaire à vos Cours et à toutes celles où la beauté de votre langue est connue, c’est celle-ci quand elle sera achevée comme vous l’avez commencée. En effet, à la réserve du principal personnage qui ne sera pas du goût des Aristotéliciens et que vous êtes persuadé que les exemples nombreux des anciens Grecs tiendront supportable, tous les autres y sont introduits à souhait pour la régularité des mœurs et des passions. Le noeud m’en semble ingénieux et le dénouement surprenant et raisonnable. Quant à l’élocution, elle est si pure, si soutenue, si libre, si semée de figures sans enflure et sans affectation que, si, dans les autres parties il y avait quelque chose à désirer pour leur perfection, celle-ci en couvrirait les taches par son éclat et par son agrément.
Continuez-donc, Monsieur, avec assurance d’un bon succès et ne donnez pas temps à votre veine de se sécher, tandis qu’elle coule si heureusement et envoyez-m’en les actes l’un après l’autre par les plus sûres occasions que vous pourrez trouver. Vous en disputerez la palme à tous les poètes tragiques italiens, non seulement au Trissino, au Succoni, au Rucellai, au Giraldi, au Groto qui demeurent loin derrière vous aussi bien que le Torelli, le Palavincini, le Bonarelli, mais encore au Tasse et Testi, quand sa tragédie ne serait pas demeurée imparfaite.
8 décembre 1670
J’ai désormais, Monsieur, l’esprit en repos tant sur mes scrupules touchant le corps de votre tragédie que sur les ornements qui la doivent accompagner, et comme elle est tantôt prête à paraître au jour, je crois pouvoir sans inconvénient commencer à lui préparer la voie en cette Cour auprès de ceux à qui il vous importe davantage afin que, quand elle viendra, elle vienne attendue et en soit la mieux venue.
24 avril 1671, à Colbert
Il me consulta son plan dès qu’il l’eut conçu ; il me communiqua tous les actes de sa pièce l’un après l’autre. Il en voulut même bien recevoir mes avis, et ce qui m’en est demeuré, c’est que depuis la Sophonisba, l’Orbrecche, la Rosmonda, Il Re Torrismondo, les fameuses tragédie italiennes, on n’a rien vu de plus sublime ni de plus digne de notre grand monarque.
Sans vous prétendre prévenir, Monseigneur, sur la beauté de la pièce que vous connaîtrez mieux que moi, si vos accablements vous permettent de la parcourir, je suis obligé de vous dire que les Grecs, les Latins, ni les Italiens dont j’ai examiné toutes les productions en ce genre n’ont rien fait d’approchant. Car je l’ai eue en confidence à mesure qu’il la composait et il en a voulu avoir mes sentiments pour ne point y pécher contre les règles et pour la rendre agréable même dans son horreur. Je l’ai attentivement considérée en toutes ses parties et je suis demeuré aussi satisfait du succès de son travail qu’il m’a témoigné l’être de mes avis sincères.
10 novembre 1671, à Graziani
Monsieur, je ne pouvais recevoir une plus agréable nouvelle que celle que m’a annoncée votre dernière lettre du [manquant] octobre, par laquelle j’apprends l’heureux succès de votre belle tragédie non seulement dans les principales villes d’Italie jusqu’à l’avoir fait représenter plus d’une fois avec applaudissement, mais encore dans la capitale d’Espagne jusqu’à s’y devoir bientôt exposer au public sur le théâtre royal, traduite en langue castillane, comme autrefois l’ont été l’Aminte du Tasse et le Pastor Fido de Guarini. Elle ne recevra pas en cette Cour-ci la même faveur parce que les dames n’y aiment point à pleurer et que les dames en font la plus agréable partie et que nos poètes, pour en attirer l’approbation, ne s’appliquent volontiers qu’à les tenir gaies par de réjouissants divertissements. Mais elle tiendra toujours les hommes solides disposés à lui rendre la justice qu’elle mérite et se la représenteront eux-même dans leur cabinets pour l’admirer et en faire une digne pâture de leur esprit et de leur jugement.
Pour moi qui suis le moindre de mon sexe, entre les mains duquel vous avez bien voulu la faire tomber, je l’ai lue et la relis encore tous les jours avec une satisfaction toujours nouvelle et y trouvant toujours de nouvelles grâces qui m’avaient échappées aux premières lectures, soit pour l’invention, soit pour l’économie, soit pour l’admirable versification qui revêtant pompeusement votre sujet, ne m’y laisse rien désirer davantage. Jouissez, Monsieur, de la gloire que cette production vous apporte et n’ayez point de regret aux six années qu’elle vous a coûtées à mettre au jour puisqu’elle l’a vu si heureusement et qu’elle vous a si bien récompensé de vos peines. Le Tasse, dans la belle ambition d’exceller dans tous les genres de la belle poésie, composa son Torrismonde qui est très grave et dans l’observation des préceptes anciens, mais qui, pour être très grave, est plus propre à être lu que représenté. Votre Cromwell par l’événement a reporté l’avantage sur le Torrismondo que le monde l’a jugé également digne de l’un et de l’autre, et c’est de quoi je vous félicite ici du cœur.
1 janvier 1672, à l’abbé Pentiatichi
Je suis marri de la mauvaise réussite que vous me dites du Cromwell dont l’auteur est fort de mes amis et peut-être lui fait-on tort.
Correspondance disponible sur Gallica p. 442, p. 632, p. 744.
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