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1696

[Anonyme], Recueil Tralage

Paris, Librairie des bibliophiles, 1880.

Un siffleur en prison

Au sein du recueil Tralage, on trouve cette lettre adressée à La Reynie, lieutenant général de police, d'un boucher qui s'est malencontreusement trouvé à siffler à la comédie. L'affaire suscite une pièce :

Monseigneur,
René Caraque, marchand boucher, vous remontre humblement qu'ayant trouvé l'occasion, vendredi dernier, d'un billet de la Comédie française, il y avait été pour la première fois de sa vie. Les gens du parterre, dans un entracte, crièrent à haute voix, à l'occasion d'un homme qui avait ôté sa perruque : « Coupez vos oreilles ! » et excitèrent beaucoup de bruit. Qu'à ce sujet l'exposant se servit d'un instrument avec lequel il éveille ses garçons le matin. On ne peut l'accuser d'avoir troublé le spectacle, parce qu'alors on ne faisait aucun récit ; néanmoins, il fut arrêté et conduit aux prisons du Petit Châtelet où il est actuellement, nonobstant la parole qu'avaient donnée les comédiens de le retirer sur les remontrances et prières qui leur avaient été faites par une affluence de gens d'honneur du quartier et par tout le voisinage qui s'y intéresse parce que l'on est très persuadé qu'il n'a point eu intention de contrevenir aux ordres de Sa Majesté. Et, comme son commerce requiert absolument sa présence et qu'il faudrait que ses étaux restassent fermés, ce qui le mettrait en risque de perdre toutes ses habitudes, il ose espérer, Monseigneur, de votre équité ordinaire, le pardon de la désobéissance qu'il a faite à des ordres qu'il ignorait, n'ayant été à la Comédie que cette seule fois, et d'autant plus que sa détention causerait sa perte et celle de toute sa famille, qui attend tout de votre justice ; et ils offriront tous à Dieu leurs prières pour votre santé et votre prospérité.

[Chanson nouvelle sur la raillerie du Boucher qui a sifflé à la comédie]
Je mérite qu'on me raille,
Moi pauvre marchand boucher,
D'avoir, comme une canaille,
À la comédie sifflé.

J'étais parmi le beau monde,
En faisant le fanfaron,
Avec les brunes et les blondes,
Contrefaisant le Gascon.

J'avais dedans ma pochette
Un sifflet de chaudronnier ;
Je sifflais, je vous proteste,
Bien mieux que les oiseliers.

Messieurs de la comédie,
Entendant ce beau sifflet,
Peindre [sic] sans cérémonie
Pour connaître qui c'était.

Ayant aperçu ma mine
Et connu que c'était moi,
Aussitôt d'humeur chagrine
Ils m'ont saisi au collet.

Devant l'honnête assistance,
Ils ont, sur mon pauvre dos,
D'une cruelle vengeance
Frappé très tous comme il faut.

Les uns d'une grosse canne,
Les autres à coups de bâton,
Ils me traitaient comme un âne,
D'une terrible façon.

Après cette sérénade,
Ces Messieurs, outre raison,
Pour me changer de salade,
Ils m'ont mené en prison.

Après cette sarabande,
Pour sortir en liberté,
Il me faut payer l'amande,
Ce qui me fait endevé [sic].

Hélas ! Messieurs mes confrères,
Ne faites pas comme moi ;
Allez-vous-en plutôt boire,
Que de faire ce que j'ai fait.

Dedans Paris, grande ville,
Chacun se moque de moi,
Hommes, garçons, femmes et filles.
Ils me montrent tous au doigt,

En se disant l'un à l'autre :
« Voilà le siffleur du temps ; Lui faut donner des linottes.
Il leur montrera gaiement ! »

Édition disponible sur Openlibrary, p. 41-46.


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