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[s. d.]
Jean Chapelain, Lettre à M. de Balzac
Envois de comédies italiennes
Ces lettres datant de l'hiver 1638 témoignent de l'habitude de s'envoyer des livres et de les critiquer par lettres. Il s'agit ici de comédies d'auteurs italiens :
À Balzac, 12 novembre 1638.
Anibal Caro, dont vous me demandez des nouvelles, a fait toutes les pièces que vous avez cotées dans votre lettre, et, depuis sa mort, elles ont été imprimées, mais elles sont toutes fort rares. J’avais la comédie que je fis venir d’Italie, il y a quinze ans. Le comte de Fiesque me l’emprunta et me la perdit. Un de mes amis en a une que je vous enverrai si, par la réponse à cette lettre, j’apprends que vous le désirez. Pour les autres ouvrages, je les chercherai et vous en saurai à dire mon sentiment
À Balzac, 5 décembre 1638.
Je vous envoie, ce voyage-ci, la comédie de Caro que vous me renverrez, s’il vous plaît, avec votre opinion et votre ponctualité ordinaire. Je n’ai pu obtenir de l’un de mes amis qu’il me prêtât celles de l’Arioste, qui sont cinq, telles qu’après celles-là il n’y a point moyen d’en lire d’autres, et qui sont composées avec un esprit entre celui de Plaute et celui de Térence, égal en mérite et en beauté tous les deux. Il en fait son trésor et avec raison. Mr Voiture m’en a emporté la première qu’ils appellent I suppositi faites en concurrence des Captifs de Plaute. Si elle me revient, je vous l’enverrai aussitôt.
À Balzac, 24 décembre 1638.
Monsieur, vous jugez très sainement de la comédie du Caro, et, hors le langage qui est un pur toscanisme, et assez de traits d’esprit semés dans tout l’ouvrage, je ne la compte qu’entre les médiocres productions et crois bien que c’est la moindre des siennes. Il vous souviendra que je ne vous l’ai pas envoyée pour excellente, mais seulement pour passable et pour ce que vous me le demandiez. Le Marin, qui ne se connaissait à guère de choses, me l’indiqua le premier avec des louanges extraordinaires, de sorte que je la fis venir exprès de delà les monts. Il faut que chacun se considère et voie quid valeant humeri, quid ferre recusent, sans se charger d’entreprises comme le Caro a fait de celle-ci, dont certainement il n’était capable que fort peu. Cependant le style et la beauté du langage l’empêchera de mourir et elle se conservera tant que la langue italienne sera estimée belle. Son fou est niais et plus du théâtre de Tabarin que de celui de l’ancienne Rome. Je suis honteux pour un aussi galant homme que le Caro, quand je me le représente composant des scènes où ce mauvais personnage est introduit et je me l’imagine fou lui-même.
Puisque vous avez vu celles de l’Arioste, je ne ferai point plus grande instance au jaloux qui les possède, et le blâmerai un peu de son peu de civilité, mais non pas tant que vous faites jusques à le juger digne de voir le feu dans ses papiers. Car je comprends bien comment un homme peut aimer un livre rare, et ne se vouloir point mettre au hasard de le perdre, ou de ne le revoir que gâte par mille inconvénients presque inévitables durant un long chemin et une saison humide comme celle-ci.
Lettres en ligne sur Gallica t. I p. 317, 332 et 343-4.
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