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1671

La Gravette de Mayolas ; Charles Robinet, Lettres en vers

Paris, Chenault, 1671.

Couverture des Amours du Soleil

Gigantesque couverture pour la pièce de Donneau de Visé : Mayolas et Robinet octroient un nombre remarquable de vers à la nouvelle pièce à machines de Donneau de Visé (ami de Robinet) dans ses lettres du 31 janvier, du 28 février et du 7 mars pour Robinet, et du 3 mars pour Mayolas.

31 janvier 1671

La grande troupe entretenue [au Marais]
Et plus que jamais bien pourvue
D’actrices qui savent charmer
Et faire le théâtre, aimer,
Donnera, demain, un spectacle
Qui doit faire crier miracle.
Ce sont, en superbe appareil,
Les brillants Amours du Soleil,
Ecrits en un style si tendre
Qu’aucun ne se pourra défendre
D’y sentir les émotions
De la reine des passions.
On aura d’abord un prologue,
Contenant un beau dialogue
Dudit Soleil avec ses soeurs,
Qui ravira les auditeurs
Tant ces déités du Parnasse
S’entretiendront de bonne grâce.
Au reste, huit grands changements
Feront, d’en-bas, les ornements,
Outre (pour plaire davantage)
Les autres d’un second étage.
Ajoutez-y vingt caracols
Qui se font en l’air, ou vingt vols,
Eh bien, n’est-ce pas un spectacle
Qui doit faire crier miracle !


28 février 1671

Partout, j’entends crier miracle
Du brillant et charmant spectacle
Des pompeux Amours du Soleil.
Un certain antre du sommeil
Sert d’entretien à tout le monde,
Ainsi qu’un foudre qui, là, gronde,
Aussi terriblement qu’en l’air,
Et tous les gens y fait trembler.
On me parle dès qu’on m’aborde,
Encore d’un char de la Discorde
Par le susdit foudre lésé,
Ou, pour mieux dire, tout brisé,
Machine, dit-on, plus hardie,
Qu’aucune en toute l’Italie.
Ah ! demain ou mardi, j’irai,
Puis, plus au long, j’en jaserai,
Pourvu qu’à gogo l’on m’y loge
Comme on ferait un petit doge.


3 mars 1671

On ne trouve rien de si rare
Que ce qu’ici je vous prépare,
Et tout le monde l’avouera
Aussitôt qu’il apercevra
Cette Ville artificielle
Qui n’est pas moins pleine que belle ;
On y voit beaucoup d’artisans,
Tous se mouvant et travaillant,
Item des ruisseaux, des fontaines,
Dont les eaux ne sont pas malsaines :
Sans oublier des beaux moulins
Grugeant toute sorte de grains,
Moulins à vent, à l’eau, à meule,
Qu’on ne trouve point ridicule,
Avec encore un grand Château
Qui n’est pas moins brillant que beau :
Mais n’omettons pas une Église
Qui sert bien à cette entreprise
Et qu’au milieu de la Cité
On a fort joliment planté ;
Ce qui la rend plus importante
Est une horloge sonnante
Qui le matin comme le tard
Sonne bien et l’heure et le quart.
Un Ermite fort vénérable
S’y présente d’un air aimable
Et par des tours bien obligeants
Salue promptement les gens.
Or vous savez qu’icelle Ville
Est toute bâtie en une Île,
Et des eaux la fertilité
En environne la beauté.
Je crois qu’on fera bonne mine,
Quand on saura que mainte mine ;
Mainte mine d’argent et d’or
Étale par là son trésor
Avecque force pierrerie
Dont elle est beaucoup enrichie.
A toute heure ainsi qu’en tout temps
On voit ces charmes éclatants,
Et dans les quatre coins du monde,
Tant sur la terre que sur l’onde,
Où luit le Rayon du Soleil,
On ne peut rien voir de pareil :
Courez-y donc galants et belles,
Et vous m’en direz des nouvelles.

Accourez vite curieux,
Venez promptement en ces lieux,
Voir une machine admirable,
Dont on n’a point vu de semblable ;
Qui représente justement,
Et tout à fait naïvement,
Aussi bien que de bonne grâce
Le fertile mont de Parnasse ;
Les Muses avec Apollon
Y sont d’une belle façon,
Comme les vertus Musicales
De qui les beautés sans égales,
Et les sons fort harmonieux,
Forment des airs délicieux,
Et se meuvent d’une manière,
Si belle et si particulière,
Qu’on ne peut sous le Firmament,
Admirer rien de plus charmant.
Mais pour vous ravir en extase,
Vous y verrez encor Pégase,
Ce Cheval fameux et fringant,
Qui va vite comme le vent,
Qui sous ses pieds sans nulle peine,
Y fait couler une fontaine :
Après ce prodige nouveau,
On ne peut rien voir de si beau,
Venez donc tous à cette source,
Et n’oubliez pas votre bourse.


7 mars 1671

M’étant mis en roulante chaise,
Je fus, mardi, tout à mon aise,
Aux comédiens du Marais,
Qui se mettent, sans cesse, en frais,
Mais en frais de belle importance,
Plus que comédien en France,
Pour divertir prompeusement
Noblement et superbement
Les courtisans de leur théâtre,
Qui vaut qu’on en soit idolâtre.
Ayant là, cher lecteur, été,
Comme je l’avais souhaité,
Placé dans une bonne loge
Tout de même qu’un petit doge,
Je vis, des Amours du Soleil,
D’un bout à l’autre, l’appareil.
Et j’y vis maintes belles choses,
Qui ne pourraient pas être encloses
Qu’en un détail assez longuet
Qui serait plaisant, tout à fait.
Mais en ayant d'autres à mettre
Dans les trois pages de ma lettre,
Je vous dirai brièvement,
Par épitomé seulement,
Que la montagne biscornue
D’abord s’y découvre à la vue,
Avec Apollon et ses soeurs,
Qui charment tous les spectateurs
Par un ravissant dialogue,
Qui, de la pièce, est le prologue ;
Où vient, tant soit peut, se mêler
Le dieu qui les coeurs fait brûler,
Lequel, n’ayant pas la pépie,
Cause comme une borgne pie,
En picotant fort finement,
Comme très agréablement.
Apollon qui, de lui, se cache,
Et va, sans prendre son attache,
Voir, en Perse, un certain objet
Dont son coeur est l’humble sujet.
Cet Apollon que je publie
Est, illec, avec le sieur Des Urlis,
Qui, dans un pompeux appareil
Fait des mieux l’amoureux Soleil.
Ses soeurs, non pas toutes pucelles,
Sont neuf brillantes demoiselles,
Comédiennes de ce lieu,
Dont j’aimerais autant le jeu.
Et l’Amour, changeant là son sexe,
En celui qui si fort nous vexe,
Est la petite Loisillon,
Qui vole comme un papillon,
Et d’une façon mignarde,
Fait ce qui son rôle regarde,
Que le plus beau de tous les dieux,
Lui-même, ne fait pas mieux.
Après cette belle ouverture,
Qui surpasse toute peinture,
La pièce des susdits Amours,
Dans les cinq actes, prend son cours,
Et dans d’éclatantes machines,
Diverses puissances divines,
Comme le Soleil et l’Amour,
Y viennent, en si riche atour
Qu’on ne peut, selon maint oracle,
Guère voir de plus grand spectacle.
Dessus tout, l’éclat du Soleil
Et son palais est non pareil.
La machine que Jupin porte
Est, aussi, de la même sorte,
Et le seigneur de Rosimond
Fait très bien ce dieu rodomont,
Lançant, en sa place, le foudre
Qui, tout d’un coup, réduit en poudre
Par un effet de son courroux,
Au grand étonnement de tous,
Un char où paraît la discorde [représentée par le Sr Prevost sous la figure de Junon]
Et, mêmement, chacun accorde
Que rien ce tour n’égalera
Et qu’il vaut seul un opéra.
La machine encore de l’Envie
Et celle de la Jalousie,
Déesse qui ne vaut pas mieux,
Et dont les transports furieux
Sont forts, pour vous le dire en somme,
A craindre tant en femme qu’homme,
Ont aussi pour admirateurs,
Tous et chacun des spectateurs.
Mais je brûle de parler vite
De la machine où Vénus gîte.
Rien n’est ni plus resplendissant
Et ni, certes, plus ravissant,
Avec son étoile amoureuse,
Si brillante et si lumineuse :
Et la déesse qui fait tout,
Dans la pièce de bout en bout
Est par la belle Des Urlis,
(De charmes, comme elle, remplie),
Portraite si fidèlement
En appas, discours, ornements,
Que, sans que l’erreur fût extrême,
Je la prendrais pour elle-même.
Quant est des terrestres acteurs,
Ils doivent plaire aux spectateurs,
Ce me semble en plus d’une guise,
Ce sont, sans que tout je déduise,
Les deux maîtresse d’Apollon,
Dont, à côté, voici le nom [Mlles Dupin et Marotte, Mlles Des Urlis femme et Loisillon]
Avec ceux de leurs confidentes,
Toutes, également, brillantes.
Orcame, le roi des Persans,
Père qui passe mal son temps,
Et Théaspe, amant de sa fille,
Qui, vainement, pour elle, grille :
Et pour substituts, ces deux-ci,
Ont ceux qu’en marge on voit ici [Srs Verneuil et de Villiers]
Ayant habits en broderie,
Tous bluettants de pierrerie.
Je tais les vols, les changements,
Et les différents ornements,
Lesquels, le théâtre embellissent,
Et mille beautés lui fournissent.
Je passe les saisons, encore,
Qui viennent là prendre l’essor.
Bref, du sommeil, je laisse l’antre,
Et dans d’autres nouvelles j’entre.

Transcription de David Chataignier disponible sur le site Molière21.


Pour indiquer la provenance des citations : accompagner la référence de l’ouvrage cité de la mention « site Naissance de la critique dramatique »