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1659
Pierre Perrin, Lettre à l'archevêque de Turin
Œuvres de poésie de Mr Perrin , Paris, Loyson.
Récit détaillé de représentations
Dans cette lettre à l'archevêque de Turin, l'auteur de la pastorale décrit dans les détails les représentations couronnées de succès en précisant les lieux, les décors, les acteurs, les spectateurs présents et les réactions du public.
Nous avons fait représenter il y a quelques jours notre petite pastorale en musique. Je vous envoie ci-inclus un exemplaire des vers imprimés, lesquels je vous supplie très humblement d'accepter. Il ne vous fera rien voir de nouveau, puisque vous aviez eu la patience de voir et d'examiner avec moi l'original, il y a quelques mois, pendant votre ambassade en France. Il vous était même resté une curiosité, à laquelle je m'étais engagé de satisfaire après sa représentation, de savoir si le succès d'une entreprise si nouvelle et, au jugement des plus sensés, si périlleuse. C'est pourquoi je m'assure que vous l'apprendrez avec plaisir.
Vous saurez donc, Monseigneur, qu'elle a été représentée huit ou dix fois à la campagne, au village d'Issy, dans la belle maison de Monsieur de La Haye ; ce que nous avons fait pour éviter la foule du peuple qui nous eût accablés infailliblement, si nous eussions donné ce divertissement au milieu de Paris. Tout nous favorisait : la saison du printemps et de la naissante verdure, et les beaux jours qu'il fit pendant tout ce temps-là, qui invitaient les personnes de qualité au promenoir de la plaine ; la belle maison et le beau jardin, la salle tout à fait commode pour la représentation, et d'une juste grandeur ; la décoration rustique du théâtre, orné de deux cabinets de verdure et fort éclairé ; la parure, la bonne mine, et la jeunesse de nos acteurs et de nos actrices, dont celles-ci étaient de l'âge depuis quinze jusqu'à vingt et deux ans, et les acteurs depuis vingt jusqu'à trente, tous bien instruits et déterminés comme des comédiens de profession. Vous en connaissez les principaux, les deux illustres sœurs et les deux illustres frères, que l'on peut compter les plus belles voix et les plus savantes de l'Europe ; le reste ne les démentait point. Pour la musique, vous en connaissez aussi l'auteur, et les concerts qu'il vous a fait entendre chez Monsieur l'abbé Charles, notre ami, ne vous permettent pas de douter de sa capacité. Tout cela, joint aux charmes de la nouveauté, à la curiosité d'apprendre le succès d'une entreprise jugée impossible, et trouvée ridicule aux pièces italiennes de cette nature représentées sur notre théâtre ; en d'aucuns, la passion de voir triompher notre langue, notre poésie et notre musique, d'une langue, d'une poésie et d'une musique étrangères ; en d'autres, l'esprit de critique et de censure et, dans la meilleure partie, le plaisir singulier et nouveau de voir que quelques particuliers, par un pur esprit de divertissement et de galanterie, donnaient au public, à leurs dépens, et exécutaient eux-mêmes la première comédie française en musique représentée en France. Toutes ces choses attirèrent à sa représentation une telle foule de personnes de la première qualité, princes, ducs et pairs, maréchaux de France, officiers de cours souveraines, que tout le chemin de Paris à Issy était couvert de leurs carrosses. Vous jugez bien, Monseigneur, que tout ce monde n'entrait pas dans la salle. Mais nous recevions les plus diligents, sur des billets qu'ils prenaient de nous, que nous donnions libéralement à nos amis et aux personnes de condition qui nous en demandaient ; le reste prenait patience, et se promenant à pied dans le jardin, ou, faisant dans la plaine une espèce de cours, se donnait au moins le passe-temps du promenoir des beaux jours.
Il me sied mal, Monseigneur, de vous dire à la louange de la pièce [sic], mais il faut pourtant vous le dire, puisque je me suis engagé de vous en apprendre le succès, que tout en sortait surpris et ravi de merveille et de plaisir, et que de tant de têtes différentes de capacité, d'humeur et d'intérêts, pas un seul n'eut la force de l'improuver et de s'empêcher de la louer en toutes ses parties : l'invention, les vers, la représentation, la musique vocale et les symphonies.
Cette réputation donna la curiosité à Leurs Majestés de l'entendre. En effet, sur leur demande, elle fut représentée pour la dernière fois à Vincennes, où elles étaient alors, en leur présence, en celle de Son Éminence et de toute la cour, où elle eut une approbation pareille et inespérée, particulièrement de Son Éminence, qui se confesssa surprise de son succès et témoigna à Monsieur Cambert être dans le dessein d'entreprendre avec lui de pareilles pièces.
Œuvres de poésie de Mr Perrin, Paris, Loyson, p. 273-290.
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