Par support > Correspondances > Lettre à l'abbé de Pure

 

1662

Pierre Corneille, Lettre à l'abbé de Pure

Mademoiselle Marotte, le Marais et l'Hôtel

Dans cette lettre datée du 25 avril 1662, on peut voir comment depuis Rouen, Corneille suit les succès des comédiens qui interprètent ses pièces, et comment il conçoit le rapport des dramaturges aux différentes troupes parisiennes.

Monsieur,

L'estime et l'amitié que j'ai depuis quelque temps pour mademoiselle Marotte me fait vous avoir une obligation très singulière de la joie que vous m'avez donnée en m'apprenant son succès et les merveilles de son début. Je l'avais vue ici représenter Amalasonte, et en avais conçu une assez haute opinion pour en dire beaucoup de bien à M. de Guise quand il fut question, vers la mi-carême, de la faire entrer au Marais. Mais ce que vous m'en mandez passe mes plus douces espérances, et va si loin, que mes amis, à qui j'ai fait part de votre lettre, veulent la lui communiquer, malgré que vous en aviez un peu le cœur navré quand vous m'avez écrit. Puisque MM. Boyer et Quinault sont convaincus de son mérite, je vous conjure de les obliger à me montrer bon exemple ; car, outre que je serai bien aise d'avoir quelquefois mon tour à l'Hôtel, ainsi qu'eux, et que je ne puis manquer d'amitié à la reine Viriate, à qui j'ai tant d'obligation, le déménagement que je prépare pour me transporter à Paris me donne tant d'affaires, que je ne sais si j'aurai assez de liberté d'esprit pour mettre quelque chose cette année sur le théâtre. Ainsi, si ces messieurs ne les secourent, ainsi que moi, il n'y a pas d'apparence que le Marais se rétablisse ; et quand la machine, qui est aux abois, sera tout à fait défunte, je trouve que ce théâtre ne sera pas en bonne posture. Je ne renonce pas aux acteurs qui le soutiennent, mais aussi je ne veux point tourner le dos tout à fait à messieurs de l'Hôtel, dont je n'ai aucun lieu de me plaindre, et où il n'y a rien à craindre, quand une pièce est bonne. Ils aspirent tous à y entrer, et ils ne sont pas assez injustes pour exiger de moi un attachement qu'ils ne me voudraient pas promettre. Quelques-uns, à ce qu'on m'a dit, ont pensé passer au Palais-Royal. Je ne sais pas ce qui les a retenus au Marais. Mais je sais bien que ce n'a pas été pour l'amour de moi qu'ils y sont demeurés. J'appris hier que le pauvre Magnon est mort de ses blessures. Je le plains, et suis de tout mon cœur,
Monsieur,
Votre très humble et très obéissant serviteur.

Lettre en ligne sur Google Books, édition de 1837, p. 591.


Pour indiquer la provenance des citations : accompagner la référence de l’ouvrage cité de la mention « site Naissance de la critique dramatique »