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1672
Charles Robinet, Lettres en vers
Paris, Chenault, 1672.
Importante couverture de Pulchérie
Dans ses lettes du 26 novembre et du 17 décembre 1672, Robinet consacre un grand nombre de vers à la nouvelle pièce de Corneille, Pulchérie :
[26 novembre 1672]
Hier, certaine Pulchérie, 
En beauté, dit-on, fort fleurie, 
Fut dépucelée au Marais 
En présence d’un grand congrès 
Id est, d’une belle assemblée, 
Qui, de plaisir, en fut comblée.  
Hé ! Ce me dira-t-on, ici, 
Quoi, dépucèle-t-on ainsi, 
Les gens à la face du Monde ! 
Cette manière est fort immonde. 
Oh ! Ne vous scandalisez pas, 
Je vais vous expliquer le cas.  
Cette charmante Pulchérie 
Est une belle comédie 
Qu’on joua pour le premier coup, 
Et qui plût, m’a-t-on dit, beaucoup.  
Or point je ne m’en émerveille 
Car elle est de l’aîné Corneille, 
Et c’est-à-dire de celui 
De qui tout auteur d’aujourd’hui 
Doit, certes, le théâtre apprendre 
S’il veut, au métier, se bien prendre.  
En ce dramatique nouveau 
Sorti de son savant cerveau 
On m’a dit, aussi, que la troupe 
Semblait avoir le vent en poupe, 
Et qu’enfin, il n’y manquait rien, 
Ce qu’encore je crois très bien.  
Mais c’est tout ce que j’en puis dire, 
Attendant que, pour en écrire, 
Et plus assurément et mieux 
De mes oreilles et mes yeux 
Je puisse avoir le témoignage, 
Que j’aime, toujours, davantage.   
Cependant ajoutons ici 
Encore, ce petit mot-ci, 
Que l’auteur a fait ce poème 
Par l’effet d’une estime extrême 
Pour la merveilleuse Psyché, 
Par qui chacun est alléché, 
Ou Mademoiselle de Molière, 
Qui, de façon si singulière, 
Et, bref, avec tant d’appâts 
Qui font courir les gens, à tas, 
Encore, maintenant, représente, 
Ladite Psyché si charmante  
[17 décembre 1672]
Grand prince à ma muse propice, 
On saura dans ce frontispice 
Pour nouvelle qui doit primer 
Sur tout ce que je vais rimer 
Qu’ici votre Royale altesse, 
Que d’y voir on a grand liesse 
Vint, lundi dernier sur le soir 
Et le lendemain alla voir 
Psyché qui tous les jours attire 
Une grande foule qui l’admire 
Tout ce spectacle étant si beau 
Qu’étant et vieux et nouveau 
On n’y peut presque avoir de place 
Je ne vous dirai point par grâce, 
Mais par argent, quoi, ce dit-on, 
Qu’il soit l’unique factotum.   
Car pour de grâce à tous je jure 
Sans devoir en être parjure, 
Que l’on n’en fait là 
Qu’à messieurs, 
Les privilégiés auteurs, 
Lesquels partout ont l’avantage 
D’avoir leurs lettres de passage.
Si j’osais me dire d’iceux 
Sans, pourtant, être aussi vain qu’eux, 
Qui, la plupart, sont gens fort rogues, 
Dedans le débit de leurs drogues, 
Je dirais qu’avec ce passeport, 
(Ne m’en coûtant que le transport 
De ma personne en une chaise) 
J’entrais gratis et vis à l’aise 
Mardi, Pulchérie au Marais, 
Dont, en revanche et tout exprès, 
Je vais ici faire un chapitre, pour le début de mon épître  
J’y trouvai toutes les beautés 
Que l’on en dit de tous côtés : 
Et cette belle Pulchérie 
À part, ici la flatterie, 
M’en fit même voir encore plus. 
Par où je connus que Phébus 
Conserve, dans le grand Corneille, 
La même vigueur non pareille 
Et tout le beau feu qu’on lui vit, 
Dans son tendre et fameux Cid 
Et qu’il a, depuis, fait paraître, 
En tous ses ouvrages de Maître, 
Par lesquels jusques aujourd’hui, 
Il tire l’échelle après lui.  
Ô que ladite Pulchérie 
Est, par tout, brillante et fleurie, 
Et qu’en ce sujet, bien écrit, 
On voit de ces beaux traits d’esprits, 
Particuliers à ce Corneille 
Dont je dirai, toujours, merveille 
Tant je suis épris justement 
De son cothurne si charmant !  
Ô que, dans ce sien dramatique, 
On voit une noble critique 
Des sottes tendresses de cœur 
Qu’étale tout stérile auteur 
Bien souvent à tort et sans cause 
Afin, comme il se le propose, 
D’attirer et faire pleurer 
Le sexe qui fait soupirer !  
Que j’aime donc son héroïne, 
Et qu’elle me paraît divine, 
Dans son Amour si bien tourné 
Qu’il oppose à l’efféminé, 
Par qui l’on voit dessus la scène, 
D’ordinaire, Princesse et Reine, 
Jeter son cœur impudemment 
À la tête de son amant !   
Que Martian sait bien m’y plaire 
Aussi, dedans son caractère 
De vieillard, lequel, amoureux, 
Parle, en si bon sens, de ses feux, 
Que tout vieillard le doit entendre 
Pour, de lui, sa leçon apprendre, 
Et s’instruire à ne plus aimer 
Hors de l’âge où l’on peut charmer.   
Que tous les autres caractères 
Touchés dans ses belles manières 
M’ont paru délicats et beaux 
Et pleins de traits d’Art, tout nouveaux.  
Que de vers, dans ce grand poème 
Semblent être d’Apollon même, 
Tant ils sont heureusement nés, 
Bien pensés, bien ruminés ! 
Qu’enfin, on voit de belles choses 
Dans ce charmant ouvrage, encloses ! 
Ah ! L’on peut ire, pour le sûr 
Que c’est là Corneille tout pur ! 
Quant aux acteurs, quant aux actrices, 
À qui les destins soient propices, 
Outre des habits fort pompeux 
Qui peuvent éblouir les yeux 
Chacun entre en son caractère 
D’une assez louable manière.  
Primo, l’agréable Dupin, 
Dont le corsage est si poupin, 
Et si chargé de pierrerie, 
Y fait fort bien la Pulchérie.  
Mademoiselle Desurlis, 
L’un des objets plus accomplis, 
Que l’amour, notre commun Sire, 
Fasse brûler dans son empire, 
Y joue un grand rôle et des mieux 
Avec son air majestueux.  
Item, Mademoiselle Marote, 
Que, pour bonne actrice, l’on note, 
D’une Justine y fait aussi, 
Le rôle, non coussi coussi.  
Léon, amant de Pulchérie, 
Qui n’est pas assez attendrie, 
Pour lui présenter la main quand 
Il ne cadre pas à son rang 
Par Douvilliers se représente 
D’une façon, certes, excellente, 
 Et montre, ne manquant en rien 
Qu’il est un bon comédien.  
Martian qui, par Pulchérie, 
Sent encore d’Amour la furie, 
Mais qu’il réprime comme il faut 
Ainsi que je l’ai dit plus haut 
Ce vieillard que, par politique, 
Cette princesse qui s’en pique, 
Choisi pour son époux de nom 
En donnant sa fille à Léon, 
Est désigné fort bien encore 
Par Veneuil, je m’en remémore : 
Et le sieur Désurlis, enfin, 
D’un rôle politique et fin 
Très méritoirement, s’acquitte.  
Voila donc, la pièce décrite, 
Tant bien que mal, de bout en bout : 
Mais qui voudra mieux savoir tout 
Aille la voir dessus la scène 
Elle en vaut bien, ma foi, la peine 
Et je tiens le cas pour constant 
Que l’on en retournera content.
Charles Robinet, Lettres en vers à Monsieur, Paris, Chenault, 1672. [Mazarine, 296-A6-RES]
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