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1669
Charles de Saint-Évremond, Lettre à Anne Hevart
Représentation de Tartuffe à l'étranger
Cette lettre nous renseigne sur la manière dont s'exporte le théâtre français à l'étranger à travers les exemples de Tartuffe de Molière, de La Femme juge et partie de Montfleury et de Tite et Bérénice de Corneille. En Hollande comme à Paris, la pratique des « applications » et la recherche des « beaux endroits » alimentent la réception du théâtre :
Nous avons ici des comédiens assez bons pour le comique, détestables pour les tragédies à la réserve d'une femme très bonne comédienne pour tout ; ils ont joué Tartuffe qui m'a extrêmement plu par les caractères ; et comme je conserverai toujours une sorte d'idée des choses de la France, celle d'un faux dévot si bien peint a fait sur moi toute l'impression qu'elle devait faire. Ici où l'on se contente de garder la régularité dans la religion, et où l'on ne trompera jamais personne par une fausse dévotion, l'on demande ce que c'est qu'un faux dévot, et l'on ne croit quasi pas qu'il y ait un pays où ce personnage-là doive servir de quelque chose. Il n'y a guère plus de cocus ici que de Tartuffes, et la Femme juge et partie n'aurait pas mieux fait valoir Bernardille, si heureusement il n'était accouru quelques cocus, des Messieurs de Flandres ou d'Allemagne, sur qui on a pu faire de fort justes applications ; tous les autres cocus ne sont que cocus de village auprès de Bernardille ; et il faut dire le vrai, on rencontre en lui toute la perfection du cocuage.
Je causerais jusqu'à demain sans ordre et sans suite, si un peu de bon sens qui me reste ne me faisait considérer que vous n'avez que faire de mes fantaisies. On m'a dit que Corneille fait une pièce admirable [Tite et Bérénice]. Je vous prie de faire mille compliments de ma part à M. de Lionne, neveu du ministre ; dites-lui que je conserve un ressentiment fort tendre de toutes les obligations que je lui ai, et si par son moyen je pouvais avoir quelques beaux endroits de cette pièce avant qu'elle se joue, ce serait une nouvelle grâce que je recevrais de lui.
éd. R. Ternois, Paris, Marcel Didier, 1967, t. I, p. 206-207.
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