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1671
[Anonyme], Par le Sieur de ***, Réponse à la Critique de Bérénice
Paris : G. de Luyne, 1671
Rire ou pleurer ?
Après avoir répondu de manière ironique à l'abbé de Villars qui attaque quelques jours plus tôt la Bérénice de Racine, l'auteur de cette "réponse à la critique" revient sur le supposé caractère comique de Titus en partant de son expérience de spectateur ému à la représentation :
Hélas, Monsieur, ce ne serait pas vous qui en viendriez à cette extrémité [se tuer]. Vous n’avez pas l’âme assez tendre pour cela, vous qui riez à l’endroit qu’on dirait être le plus touchant de toute la pièce dont nous parlons: à ce reproche pressant et sensible qui fait connaître le cruel état de Titus, qui, tout empereur qu’il est, est obligé de se séparer de ce qu’il aime, à ce vers si énergique pour exciter la pitié,
Vous êtes empereur, Seigneur, et vous pleurez
qui semble bien faire ressouvenir les spectateurs de ces sentiments de tristesse, de cette langueur affligeante et de cette douleur mortelle dont l’âme de Titus, quand il dit lui-même au roi de Comagène,
Plaignez ma grandeur importune etc
je vous avoue mon faible, je ne vois jamais de pareils endroits que je ne me sente attendrir. Ils ont le secret d’exciter la pitié dans mon âme, et je ressemble fort à Horace en cela
Si vis me flere dolendum est
Primum ipsi tibi ; tunc tua me infortunia laedent
Je porte envie à cette grandeur d’âme héroïque, qui est au-dessus de l’humanité, et qui fait que vous vous choquez des pleurs d’un empereur. De l’humeur dont vous êtes, je ne vous conseille pas de lire Homère, Sophocle, Ovide, Sénèque, Virgile, Cicéron, ni tous les Anciens, - où vous verriez pleurer Achille, Ulysse, Ajax, Hercule, Enée, Alexandre, César, et tant d’autres empereurs, dont les larmes seraient capables de vous noyer, si on les avait conservées dans des vases. Je m'imagine que dans les règles de votre poétique, la fin de la tragédie n'est pas d'exciter la pitié , car on y travaillerait en vain, puisque ces mouvements pathétiques, qui font pleurer l'acteur même, ne peuvent rien sur vous. M. Racine vous aurait bien plu davantage, s'il avait fait comme M. Corneille, qu'il eût laissé dire le bon Horace,
Projicit ampullas et sesquipedalia verba,
Si curat cor spectantis tetigisse…
et qu'au lieu de faire pleurer Tite, il nous l'eût représenté comme l'effroi du genre humain, comme un mangeur de petits enfants, qui n’avait qu’à mettre un pied devant l’autre et dire un mot un peu plus haut qu’à l’ordinaire, pour faire trembler le monde de bout en bout. Il est vrai qu'on eût dit de lui ce qu'on dit de M. Corneille, qu'il a voulu copier son Tite sur notre invincible Monarque, et qu'il y a très mal réussi […]. Et, selon vous, il aurait bien mieux valu que [Racine] eût fait cela que d'avoir composé ces madrigaux, ces élégies, dont sa pièce, comme vous dites fort bien, n'est qu'un tissu galant, depuis le commencement jusqu'à la fin.
Extrait signalé par M. Escola
éd. G. Michaut, La "Bérénice" de Racine, Paris: Société française d'imprimerie et de librairie, 1907, p.289
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