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1665

Sieur de Rochemont, Observations sur une comédie de Molière intitulée le Festin de Pierre

Paris, N. Perpingué, 1665

Les talents de Molière

Dans ce virulent pamphlet contre Molière, Rochemont assimile ce dernier à un farceur tout en l'excluant du palmarès. Après avoir rappelé tous les lieux communs historiographiques sur l'auteur, il évoque son jeu d'acteur.

Il est vrai qu’il y a quelque chose de galant dans les ouvrages de Molière, et je serais bien fâché de lui ravir l’estime qu’il s’est acquise : il faut tomber d’accord que, s’il réussit mal à la comédie, il a quelque talent pour la farce et, quoiqu’il n’ait ni les rencontres de Gaultier-Garguille, ni les impromptus de Turlupin, ni la bravoure du Capitan, ni la naïveté de Jodelet, ni la panse de Gros-Guillaume, ni la science du Docteur, il ne laisse de plaire quelquefois et de divertir en son genre : il parle passablement français ; il traduit assez bien l’italien et ne copie pas mal les auteurs ; car il ne se pique pas d’avoir le don d’invention, ni le beau génie de la poésie, et ses amis avouent librement que ces pièces sont des jeux de théâtre, où le comédien a plus de part que le poète, et dont la beauté consiste presque toute dans l’action. Ce qui fait rire en sa bouche fait souvent pitié sur le papier, et l’on peut dire que ses comédies ressemblent à ces femmes qui font peur en déshabillé et qui ne laissent pas de plaire quand elles sont ajustées, ou à ces petites tailles qui, ayant quitté leurs patins, ne sont plus qu’une partie d’elles-mêmes. Je laisse là ces critiques qui trouvent à redire à sa voix et à ses gestes, et qui disent qu’il n’y a rien de naturel en lui, que ses postures sont contraintes, et qu’à force d’étudier ses grimaces, il fait toujours la même chose, car il faut avoir plus d’indulgence pour des gens qui prennent peine à divertir le public, et c’est une espèce d’injustice d’exiger d’un homme plus qu’il ne peut, et de lui demander des agréments que la nature ne lui a pas accordés ; outre qu’il y a des choses qui ne veulent pas être vues souvent et il est nécessaire que le temps en fasse perdre la mémoire afin qu’elles puissent plaire une seconde fois. Mais quand cela serait vrai, l’on ne pourrait dénier que Molière n’eût bien de l’adresse ou du bonheur de débiter avec tant de succès sa fausse monnaie, et de duper tout Paris avec de mauvaises pièces.

Edition en ligne sur Molière 21


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